Jean-Louis Aubert E.T. (Expo Thabor), 2025 Parpaing de béton, socle, inscription à la peinture blanche
En dressant sur un piédestal un simple parpaing rescapé de l’exposition Horse’s Mood présentée à l’Orangerie du Thabor (Rennes, 27.10.25 – 02.11.25), Jean-Louis Aubert ne se contente pas d’élever un fragment de chantier au rang de sculpture : il déplace l’ensemble de l’exposition dans l’espace concentré d’un seul bloc. L’artiste interroge ici ce qui survit d’un événement artistique lorsque les images ont quitté les murs, lorsque le public est rentré chez lui et que ne subsistent plus que des traces matérielles a priori sans qualité. Ce parpaing fut, dans Horse’s Mood, un dispositif d’ancrage : chaque tirage photographique – portraits équins vibrant de couleurs – était fiché sur un piquet de bois lui-même planté dans un bloc semblable, posé sur le gravier, dessinant un manège que le visiteur parcourait comme on suit la piste d’un cheval. En isolant aujourd’hui l’un de ces blocs, Aubert questionne le statut du support : élément utilitaire, assigné à la stabilité et à la sécurité, il devient reliquaire, condensateur de mémoire, « capsule » de l’exposition passée. L’inscription « E.T – Jean-Louis Aubert » condense ce déplacement. Acronyme d’« Expo Thabor », elle inscrit le parpaing dans un temps et un lieu précis, tout en jouant discrètement avec l’imaginaire d’un « E.T. » venu d’ailleurs. L’exposition devient alors une expérience de visite d’un autre monde – celui des chevaux, de leurs humeurs, de leurs états de présence – dont ce bloc serait l’ultime météorite tombée dans notre quotidien. L’artiste questionne ainsi la possibilité même d’un après de l’exposition : que reste-t-il, sinon un poids, un volume, une densité obstinée qui résiste à l’oubli ? La matérialité rugueuse du béton, sa porosité, ses cavités internes, dialoguent avec l’architecture de l’Orangerie du Thabor : verrières, colonnes, lumière rasante du jardin. Là où le pavillon offrait une transparence quasi picturale, ce fragment
enregistre au contraire l’opacité du réel. Le parpaing devient un module d’architecture mémorielle. Ses quatre alvéoles, tournées vers le vide, peuvent se lire comme autant de chambres de résonance : temps du montage, temps de l’exposition, temps du démontage, temps de la réminiscence. L’artiste interroge cette stratification temporelle en lui donnant la forme la plus minimale possible. En posant le parpaing sur un socle traditionnel, Aubert renverse enfin les hiérarchies : le support du support accède au rang d’icône. On n’admire plus la photographie majestueuse d’un cheval, mais le bloc anonyme qui en assurait l’équilibre. Ce geste discret, presque têtu, questionne la construction même du « monde de l’art » : qu’est-ce qu’une œuvre, sinon ce que l’on décide de soustraire à l’usage pour l’offrir au regard ? E.T. (Expo Thabor) se présente ainsi comme une pierre de fondation paradoxale : lourde, compacte, silencieuse, mais chargée de la totalité d’une exposition disparue, dont elle demeure la trace aussi modeste qu’indispensable.